Le onzième webinaire du cycle « Parlons Science Ouverte » du CCSD a proposé une exploration passionnante des projets de recherche PathOS et COMMONS. Deux projets précurseurs qui questionnent l’une des dimensions les plus importantes de la science ouverte : que deviennent les résultats de recherche une fois diffusés en accès ouvert ?
Au-delà de la simple mise à disposition des publications et données, ces deux projets s’intéressent aux usages concrets, aux réutilisations et aux impacts dans la société.
Des approches innovantes qui s’appuient notamment sur l’analyse de traces numériques pour observer les pratiques et identifier les différents types d’usages et d’utilisateurs,y compris non académiques.
PathOS : cartographier les chemins vers la science ouverte
« Pour comprendre l’impact, il faut comprendre l’usage » — Simon Apartis
Simon Apartis, ingénieur de recherche au CNRS et chargé de la science ouverte au Centre Internet et Société, a présenté les travaux en cours du projet PathOS (Pathways to Open Science). Ce projet européen, financé par Horizon Europe, réunit huit organisations dans six pays pour une durée de trois ans.
L’équipe française, dans laquelle s’intègre les travaux de Simon Apartis, se concentre sur le cas d’étude « Research data and knowledge use in non-academia« , qui examine les infrastructures françaises de science ouverte et leurs impacts sur des communautés non-académiques.
Le projet utilise une méthodologie de raisonnement contrefactuel pour répondre à la question : « que se serait-il passé si les infrastructures de science ouverte comme HAL et OpenEdition n’avaient pas existé ? ».
L’approche développée s’appuie sur l’analyse de logs de connexion provenant de HAL et OpenEdition. Ces traces numériques permettent d’observer les 437 millions de tentatives d’accès enregistrées entre janvier 2023 et septembre 2024, appuyant l’utilisation mondiale de ces plateformes.
Les chercheurs ont développé une méthodologie pour cartographier “qui accède à quoi”. Ils ont ainsi classifié les adresses IP par type d’organisation, répartis en 22 secteurs socio-économiques, puis catégorisé les ressources par domaines scientifiques (26 champs disciplinaires selon la classification d’OpenAlex), et analysé les corrélations entre disponibilité en accès ouvert et volume de consultations.
Les résultats préliminaires tendent à montrer que l’ouverture des ressources sur HAL génère un avantage de consultation significatif par rapport à des ressources “fermées”. Les sciences dites “dures” (chimie, physique, médecine) bénéficient le plus de l’accès ouvert en termes de nombre de consultations, tandis que les secteurs publics, académiques et administratifs sont les plus sensibles à l’ouverture des ressources.
De futurs résultats viendront compléter et ajuster ces résultats provisoires.
Ces premiers travaux visent à orienter de futures recherches qualitatives pour mieux comprendre le passage de l’accès à l’usage, puis à l’impact.
COMMONS : observer les pratiques depuis les plateformes
Le projet COMMONS, coordonné par OpenEdition, adopte une approche complémentaire en s’intéressant aux pratiques, usages et politiques de science ouverte à travers le prisme des plateformes de diffusion. L’objectif est ambitieux : construire un observatoire des usages qui permettra de mieux comprendre l’écosystème de la science ouverte, en combinant analyses quantitatives et qualitatives.
Mohsine Aabid, doctorant en informatique au laboratoire de OpenEdition Lab, a présenté les travaux menés au sein du quatrième élément du projet COMMONS, dont l’objectif est de fluidifier l’accès aux services d’OpenEdition.
La méthodologie adoptée repose sur l’analyse de logs de connexion des plateformes d’OpenEdition (Journal, Books, Calenda, Hypothèses) et de son moteur de recherche.
Une fois les données exploitables, l’équipe peut les traiter à travers deux types d’analyses. L’analyse de transition, qui examine les probabilités de passage d’une ressource ou d’une plateforme à une autre, permettant de construire des matrices de transition qui révèlent des patterns de navigation distincts. Et l’analyse de préférences, qui identifie des intérêts communs partagés par des groupes d’utilisateurs en analysant les clics et en regroupant les sessions similaires, permettant de détecter des communautés d’usage et leurs caractéristiques.
Les premières analyses révèlent des patterns de navigation très intéressants. Les utilisateurs tendent à rester sur une même plateforme : une fois sur OpenEdition par exemple, les utilisateurs tendent à rester sur le site et naviguent peu entre plateformes. Certains sites jouent un rôle de « hub », attirant particulièrement le trafic comme les Presses universitaires de Rennes, CNRS éditions ou les éditions de l’EHESS.
L’analyse des sessions a permis d’identifier quatre types distincts de navigation :
- les sessions à site unique (navigation concentrée sur un seul site),
- les sessions linéaires (progression directe sans retour en arrière),
- les sessions semi-linéaires (début linéaire puis exploration plus erratique),
- et les sessions complexes (navigation multidirectionnelle avec de nombreux allers-retours).
Les données révèlent également des patterns temporels marqués avec un pic d’activité après 12h, une décroissance nocturne, et une forte baisse du trafic les weekends, confirmant l’usage professionnel et académique dominant de ces plateformes.
Si les premières pistes de ce travail exploratoire sont fascinantes, elles ne peuvent encore à ce stade s’entendre comme des conclusions. Il nous faudra attendre encore un peu pour en découvrir les résultats définitifs.
Une approche ethnographique complémentaire
Au-delà de l’analyse quantitative, le projet COMMONS intègre une dimension ethnographique menée par Ioanna Faïta, doctorante en science de l’information et de la communication à OpenEdition Lab au laboratoire Elico, qui étudie les pratiques informationnelles au sein de ces plateformes. Cette approche qualitative vise à comprendre les négociations entre utilisateurs et dispositifs techniques, en s’intéressant aux usages prescrits mais aussi aux détournements et appropriations.
Cette étude exploratoire se focalise sur les lectorats de trois entités éditoriales : la revue Monde des migrations, la revue de la Bibliothèque de National Universitaire de Strasbourg et trois collections des éditions de l’Université Grenoble Alpes. Cette approche méthodologique combine à la fois questionnaires, entretiens semi-directifs avec les lecteurs, personnels d’édition et intermédiaires techniques, et mises en situation de navigation.
Les premiers résultats issus des entretiens révèlent des pratiques de découverte diversifiées où Google, Google Scholar et Isidore dominent (en cohérence avec de précedente études menées sur le lectorat d’OpenEdition en 2009 et 2012), malgré l’existence d’un moteur de recherche spécifique à OpenEdition. L’étude distingue les pratiques individuelles et collectives de mobilisation des ressources, montrant comment une ressource devient une information qui circule et se transforme, au service d’objectifs personnels comme au sein de communautés disciplinaires ou de pratique.
Trois grandes perceptions que les publics se font des ressources émergent :
- une vision fragmentée au niveau de l’article (la ressource est perçue isolément, au niveau de l’article, sans mise en relation avec le reste du site ou de la revue.),
- une perception du site comme ensemble (l’utilisateur perçoit le site dans son ensemble comme un espace cohérent, au-delà des contenus individuels.),
- et une conception de continuité avec l’objet revue traditionnel (la revue en ligne est perçue dans la continuité de l’objet revue imprimée, avec ses logiques éditoriales et périodiques traditionnelles.)
Différentes perceptions qui peuvent faire échos aux parcours de navigation identifiés par Mohsine Aabid.
Cependant, l’étude révèle un « flou » persistant au sein des lectorats étudiés concernant les infrastructures elles-mêmes. Ioanna Faïta identifie par exemple des confusions entre Cairn et OpenEdition, et une incertitude sur les rôles des différents acteurs de l’écosystème de la science ouverte.
Les témoignages recueillis montrent que les publics académiques et para-académiques interrogés appréhendent l’ouverture de manière synchronique, sans regard sur les temps longs des évolutions de la science ouverte. Ils expriment une certaine incertitude vis-à-vis des modalités pratiques de mise en œuvre de l’ouverture, avec une tendance à confondre science ouverte et accès libre, publications et données…
Vers une meilleure compréhension de l’impact
En dépassant les simples métriques quantitatives, ces projets permettent de mieux comprendre qui utilise réellement les ressources en accès ouvert, comment ces ressources circulent dans différents écosystèmes socio-économiques, et quels impacts concrets peuvent être mesurés au-delà du monde académique.
L’innovation réside dans la capacité à détecter des lecteurs inattendus et à identifier des pics d’accès révélateurs d’appropriations nouvelles de la science ouverte par des acteurs non académiques.
Cette approche centrée sur les usages réels constitue un pas important vers une évaluation plus fine et plus juste de l’impact de la science ouverte sur la société.