Ouvrir ses publications et préserver ses droits : quelles solutions ?

Écrit par Léo Raimbault

Publier ses travaux en libre accès représente-t-il une menace pour le droit d’auteur des chercheur·es ? Non. Du moins, pas lorsque sont prises les dispositions préalables à la bonne conservation du droit à publier en libre accès.

Le droit d’auteur est constitué de droits moraux* et de droits patrimoniaux. Ces derniers régissent l’exploitation d’une œuvre et peuvent être cédés à un tiers, contrairement aux droits moraux (Légifrance). Suivant le schéma “traditionnel” de la publication scientifique — c’est-à-dire via revues payantes —, les auteur·e·s cèdent, par un contrat d’édition, la totalité de leurs droits patrimoniaux à un éditeur pour l’exploitation et la distribution de leur publication (Ouvrir la science, 2020). En cédant ses droits, l’auteur·e n’a donc plus le libre usage de sa publication. Par conséquent, si les droits sont exclusivement transférés à un éditeur, c’est à lui de décider de la disponibilité en accès ouvert d’une publication ou, le cas échéant, à l’auteur·e d’en faire la demande expresse si l’éditeur ne l’accorde pas d’emblée (Ouvrir la science, 2020).

Néanmoins, depuis 2016, la Loi pour une République numérique autorise les auteurs “financée au moins pour moitié par des dotations [publiques], […] de mettre à disposition gratuitement dans un format ouvert, par voie numérique, […] la version finale de leurs manuscrits acceptée pour publication”, quand bien même un contrat d’édition a été signé (Légifrance). De fait, lorsque des chercheur·es rendent leurs productions librement accessibles, l’éditeur ne peut les mettre en cause d’avoir outrepassé leurs droits, après avoir respecté un embargo de 6 à 12 mois (Ouvrir la science, 2020).

Quelles sont donc les options possibles afin d’assurer une libre et rapide diffusion de leurs travaux, assurant le respect du droit des auteur·es et celui des éditeurs ?

Ce 8e opus des webinaires “Parlons Science ouverte”, proposé par le CCSD, est l’occasion de présenter deux voies complémentaires  pour s’assurer du respect du droit à la publication en libre accès. C’est à ce titre que sont intervenus trois expert·es de ces questions devant une large audience de près de 500 personnes, suivi de riches échanges :

  • Benoît PIER – Directeur de recherche au CNRS au Laboratoire de mécanique des fluides et d’acoustique (LMFA,CNRS, École centrale de Lyon, université Claude-Bernard Lyon 1 et INSA de Lyon), correspondant pour la science ouverte de CNRS-Ingénierie et co-rédacteur du guide Mettre en œuvre la stratégie de non-cession des droits sur les publications scientifiques (Ouvrir la science)
  • Cécile BEAUCHAMPS – Éditrice aux Presses universitaires de Caen, membre du réseau MÉDICI
  • Daniel BATTESTI – Éditeur à la MSH de Dijon (UAR3516), membre du réseau MÉDICI


*Les droits moraux “permettent notamment d’exiger de la personne qui publie votre travail qu’elle vous désigne comme l’auteur de ce travail”. C’est aussi “ce droit de paternité qui oblige à la citation” de·s auteur·es (Ouvrir la science, 2020).

La stratégie de non-cession exclusive des droits

Présentation de Benoît PIER

La loi “pour une République numérique” (2016) protège les chercheur·es et leur donne de nouveaux droits. Ainsi, l’article 30 les autorise à diffuser leurs publications en libre accès, après une période d’embargo de 6 mois pour les STM à 12 mois pour les SHS, et ce, “même après avoir accordé des droits exclusifs à un éditeur”. À cette loi viennent s’ajouter les deux Plans nationaux pour la Science ouverte (2018 et 2021) et la cOAlition S, qui œuvrent à renforcer et faciliter l’ouverture des travaux scientifiques, soutenant notamment la stratégie de non-cession exclusive des droits. Au-delà d’un encouragement à l’ouverture, l’ANR en particulier rend obligatoire depuis 2022 la publication en libre accès de tout projet financé.

Mais comment concilier tout cela ?  Quelles options s’offrent aux auteur·es pour éviter de céder la totalité de leurs droits à un éditeur et ainsi être assuré·es de pouvoir publier en libre accès ? La stratégie de non-cession exclusive des droits est une des voies à la portée des auteur·es.

Comment ça marche ?

La stratégie de non-cession exclusive des droits (en anglais : Rights Retention Strategy) est un “outil au bénéfice des chercheuses et chercheurs pour conserver suffisamment de droits sur leurs articles et ainsi permettre leur mise à disposition en accès ouvert immédiat, quel que soit le modèle de diffusion de la revue dans laquelle ils sont publiés” (Ouvrir la science). Cette stratégie consiste à apposer une licence ouverte à son manuscrit, préalablement à sa soumission. L’application d’une telle licence — CC-BY par exemple — rend inaliénable le droit des auteur·es à partager librement leurs travaux, et notamment de les déposer dans une archive ouverte.

Comment mettre en œuvre la stratégie de non-cession exclusive des droits ?
  1. Appliquer une licence libre à son manuscrit dès sa soumission, soit avant de céder ses droits à l’éditeur et avec l’accord de tous ses co-auteur·es. Une démarche purement déclarative : voir comment appliquer une licence libre.
  2. Informer l’éditeur que son manuscrit est sous licence libre.
  3. Déposer son manuscrit dans une archive ouverte.

Détenant la propriété intellectuelle de leurs travaux, les auteur·es ont toujours la possibilité d’apposer une licence libre à leurs manuscrits. Elle  garantit le libre accès de la version auteur·e, même si un contrat de cession des droits est signé ultérieurement. L’éditeur demeure, quant à lui, titulaire des droits de la version “éditeur”.

Cette démarche s’inscrit dans le cadre juridique prévu par la loi, et est recommandée, entre autres, par le CNRS et l’ANR. La stratégie de non-cession exclusive des droits reste une possibilité ouverte à toutes et tous, et n’engage pas de frais supplémentaires (type “APC”).

Retrouvez la marche à suivre dans le guide d’Ouvrir la science ! :  Mettre en œuvre la stratégie de non-cession des droits sur les publications scientifique

Qu’en pensent les éditeurs ?

Parmi les rares réactions des éditeurs, peu se sont déclarés favorables à cette stratégie. Certains cas, à la marge, tentent même de rediriger les auteur·es vers un modèle “hybride”, c’est-à-dire incluant des frais de publications (APC), si le libre accès est souhaité par l’auteur·e.

Pour autant, la stratégie de non-cession exclusive des droits a déjà fait ses preuves et recense d’heureux exemples, notamment avec de grands éditeurs tels Elsevier ou Springer. Bien qu’étant un dispositif relativement récent (2022) et difficilement quantifiable, quelques 300 articles sont reconnus pour avoir appliqué avec succès cette stratégie selon Benoît Pier, co-auteur du guide “Mettre en œuvre la stratégie de non-cession des droits sur les publications scientifiques”. A contrario, peu de cas démontrent une réelle remise en cause de ce droit par les éditeurs.

En cas de doute ou pour tout besoin d’orientation, les chercheur·es sont invité·es à prendre contact avec le service science ouverte de leur agence de financement ou de leur institution, avec les référent·es HAL de leur laboratoire ou avec leur SCD.

Le contrat d’édition, un outil d’ouverture de la science

Présentation de Daniel BATTESTI et Cécile BEAUCHAMPS
Le réseau Médici

Les auteur·es ne sont certes pas les seul·es à s’investir dans l’ouverture de la science, et bien des éditeur·rices s’inscrivent également dans cette démarche vertueuse. C’est le cas du réseau Médici, “ réseau métier national réunissant la communauté des professionnel·les de l’édition scientifique publique”, réseau d’actions, de formation et de partage, promouvant la Science ouverte.

L’article 132-8 du code de la propriété intellectuelle prévoit qu’une œuvre peut être cédée à titre non-exclusif. Ces dispositions peuvent tant être négociées par l’auteur·e, que proposées par l’éditeur. L’édification de contrats équitables entre auteur·e·s et éditeurs se présente alors comme une solution complémentaire à la stratégie de non-cession exclusive des droits.

Ainsi le réseau Médici, avec le soutien du Comité pour la Science ouverte (CoSO), travaille depuis 2017 à la rédaction de recommandations et de modèles de contrats spécifiques pour l’édition publique en accord avec les valeurs promues par la Science ouverte. Trois modèles de contrats concernant les périodiques et les ouvrages collectifs ont premièrement été publiés, suivis de trois modèles de contrat à destination des monographies.

Comment construire des modèles de contrats ?

La constitution de modèles de contrats généralisables à toutes les disciplines scientifiques est un exercice complexe pour les éditeur·rices de Médici, tant les différences de pratiques en matière de publication et d’ouverture diffèrent entre STM et SHS. Chez ces derniers d’ailleurs, l’ouverture est en réalité  bien souvent du fait des éditeur·rices, plus que des auteur·es, et inversement chez les STM.

Ces modèles de contrats, interdisciplinaires, modulables et ouverts à la négociation, sont enrichis de commentaires pour assurer une parfaite compréhension des différentes modalités attenantes. De fait, le réseau Médici offre d’une part un appui pour les éditeur·rices, et d’autre part, un document didactique pour renseigner les auteur·es et services d’appui à la recherche des différentes options avant négociations.

Si le réseau Médici, à travers ces modèles de contrats, ne fixe aucune politique en matière de science ouverte, ceux-ci offrent des options quant au libre accès de la publication, ainsi que des définitions précises, tenant compte des différentes pratiques disciplinaires. En préambule à ces contrats, les éditeur·rices sont donc invité·es à faire figurer les modalités de diffusions pratiquées et, en cas de diffusion sous licence Creative Commons, d’en demander l’autorisation à l’auteur·e en précisant clairement les conditions de réutilisation. Ainsi les éditeur·rices, à l’instar des auteur·es, s’inscrivent en tant qu’acteur·ices moteurs de la Science ouverte.

En 2024, Médici estime à 200 le nombre de revues employant leurs modèles, parmi lesquelles 75 % pratiquent la cession non exclusive et/ou une cession exclusive limitée dans le temps.

Pour aller plus loin

Envie d’en savoir plus à propos du droit d’auteur·e et du bon usage des licences libres ? Retrouvez la séance Parlons Science Ouverte #7 : “Du bon usage des licences dans le cadre du dépôt dans HAL”, avec Lionel Maurel, directeur adjoint scientifique Science ouverte, édition scientifique et données de recherche à l’InSHS.

Bibliographie

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